Tous les footballeurs ont une tête de con – 20/10/2021

Hier le PSG a gagné son match de ligue des champions contre le RB Leipzig, avec des buts de Mbappé et Messi.

L’autre jour je fais des courses au monoprix, en partant la caissière me parle. Elle me parle de mon masque, jaune et noir, aux couleurs du Stade Rochelais. Elle me dit son amour pour le club, je glisse ça et là quelques noms de joueurs et d’équipes pour faire illusion. Quand soudain, convaincue d’avoir trouvé là un allié dans ses convictions profondes, elle lâche : « C’est quand même autre chose que le PSG, hein ? ».

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En 1998 on sautait de joie en famille. Rebelote vingt ans plus tard. Mais récemment j’ai appris qu’il convient de distinguer équipe nationale et club. La première fait des joueurs des héros, le second des divas, suppôts de l’argent roi. Alors quand s’intercalent matches en sélection et en club, petit jonglage intellectuel pour ne pas s’emmêler les pinceaux. Savoir quand s’extasier, quand s’indigner. Inverser l’un et l’autre vous fait vite passer pour un imbécile.

On connaît les reproches faits au football des grands clubs. Trop d’argent, des équipes internationales qui n’ont plus rien à voir avec la ville d’origine, des joueurs au statut de star, des supporters racistes et homophobes… Je partage toutes ces critiques. Ce qui m’étonne cependant, c’est la propension qu’elles ont parfois à se focaliser sur le football et sur certains clubs, en France sur le PSG, au détriment d’une honnêteté intellectuelle. Car on n’a aucun mal à s’enthousiasmer pour Nadal après avoir râlé sur le salaire de Neymar en guise de seule analyse footballistique. Ou à soutenir le Stade Rochelais et ses sud-africains tout en dénigrant le Paris Saint-Germain pour ses joueurs qui ne sont même pas français !

Indéniablement le PSG, avec ses investisseurs et ses stars aux salaires ridicules, incarne les dérives de l’argent dans le sport professionnel. Mais il semble aussi servir de paratonnerre pour des problèmes pourtant présents ailleurs. Le budget du PSG en 2021 est de 500 millions d’euros, contre 250 millions d’euros pour l’Olympique Lyonnais par exemple. Mbappé perçoit un salaire de 18 millions d’euros. A titre de comparaison, Timothée Chalamet a touché un cachet de 2 millions d’euros pour son rôle dans Dune (qui personnellement m’émeut moins qu’une course de Mbappé), et Ed Sheeran a gagné 64 millions d’euros en 2020. Je ne me souviens pas de commentaires les concernant, pourtant qu’en ai-je entendu sur le PSG.

Il est intéressant d’observer ces réactions à œillères. Émergent le temps d’une soirée, d’une remarque, des experts insoupçonnés sur les budgets comparés des différents clubs de foot, des économistes engagés qui prennent position sur les investissements qataris. Plus souvent chez les spectateurs occasionnels que chez les fins connaisseurs – non qu’il faille être compétent pour donner son avis, suis-je bien placé. Mais après avoir ouvert la porte à un sujet un sujet si vaste que l’argent dans le sport, la géopolitique des pays du Golfe, le plafonnement des salaires dans notre société et j’en passe, l’analyse s’arrête abruptement à « Neymar il est trop payé c’est vraiment n’importe quoi ».  A croire que ce n’était pas le projet, une discussion de fond. Dommage, on aurait aussi pu parler de l’accessibilité du tennis ou de l’équitation aux moins aisés. Ou remarquer que l’équipe du PSG fait bien meilleure figure en termes de diversité que l’équipe de Federer en Laver Cup. Mais non, nous en resterons là.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui conduit des gens capables d’une réflexion à abandonner si vite leur sens critique ? Comme souvent il semble que l’identité d’un groupe, d’un milieu social, passe par le rejet d’un autre groupe. C’est cohésif et ça ne mange pas de pain, nul besoin de renier ici une conviction profonde, les passionnés du foot sont à chercher ailleurs. Ainsi on se fend d’un petite remarque sur les millions de Messi, tout le monde abonde, on se sent à sa place. Puis on retourne à l’éloge du handball, oubliant à l’occasion que le club parisien partage quelques traits avec son homologue du football. Car surtout, et c’est bien là que la chose est tentante, à taper sur plus gros on évite pendant ce temps l’autocritique, on se donne une bonne conscience. Peut-être que le débat sur le football mérite un peu mieux qu’une schizophrénie intenable entre l’admiration aveugle de 1998 et 2018 et le dénigrement superficiel d’un club qui nous affranchit d’une réflexion poussée qui nous mettrait face à nos contradictions.

« Tous les footballeurs ont une tête de con » ai-je entendu, et il m’est arrivé de le penser. Ils s’y prêtent bien, non ? Ils n’ont pas toujours l’air finis, à courir bêtement après un ballon (alors qu’il suffirait de se pencher pour le ramasser !). On n’imagine pas Federer dire à Djokovic « Je te fume », pour reprendre les mots de Mbappé (qui en réalité n’a rien à envier aux sorties de certains joueurs de tennis). Ce n’est pas non plus une équipe de handball qui refuserait de sortir du bus, comme des enfants mal élevés. Même dans les scandales les footballeurs se distinguent par le bas. L’affaire à la sextape de Benzema et Valbuena, ça fait un peu plouc. A tel point que lorsqu’on entend un joueur s’exprimer correctement en interview, et qu’on concède qu’il a l’air normalement intelligent, on s’empresse de préciser qu’il sort du lot. Alors, derrière tout ce mépris des footballeurs, il y a-t-il une part à peine masquée de mépris de classe envers ceux qui ont grandi dans des quartiers populaires, qui n’ont pas le même langage châtié, les mêmes codes ? Les tennismen et les rugbymen ont-ils « tous une tête de con » ?

 

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